Nous avons vu dans un précédent billet les limites des chiffres. Peut-on tout mesurer, doit-on tout mesurer ? Et que disent ou ne disent pas les chiffres ?
Chiffres, croyances et simplifications
En introduction de ce billet, je vous invite à écouter cette intéressante interview de Frédéric Schütz sur la Radio romande (Podcast, 14’) sur les chiffres dans les médias. Il y a toujours plus de chiffres diffusés, et ils nous donnent souvent l’impression de refléter une information solide, officielle, crédible. Qu’en est-il ?
Comment utiliser les chiffres?
Il se peut fort bien qu’un décideur, poussé par son besoin d’être rassuré, sera peu sensible à vos explications et messages qualitatifs subjectifs, tout qualifiés et pertinents qu’ils soient, et vous poussera à en venir au fait et lui donner des chiffres « afin de pouvoir prendre une bonne décision ».
Dans un tel cas, quelques précautions s’imposent :
D’abord donner des ordres de grandeur: « printemps 2012 » plutôt que « 31 mars 2012 »; « une semaine » plutôt que « 4 jours »; « entre 4 et 8’000 ». -> Pas de chiffre sans marge d’incertitude !
Se poser la question de la pertinence : on ne mesure que ce qui est mesurable, or la réalité ne s’arrête pas à la mesure;
Ensuite rappeler encore et toujours qu’une estimation n’est pas une promesse (voir l’excellent billet d’Arialdo Martini). Et là le conflit est programmé entre la vente et le chef de projet, entre l’administration et la politique…;
Et encore que les faits (« Daten – Zahlen – Fakten », leitmotiv de certains managers germanophones), comme nous le rappelle David Weinberger, ne sont qu’une part de la construction du réel, mais pas le réel en soit : ils constituent une manière d’appréhender et comprendre le monde sur la base de qui nous sommes et de nos préférences.
Générer des chiffres avec intelligence
Outre l’application des techniques d’estimation agiles telles que le planning poker ou les swim lanes, les principes généraux suivants s’appliquent :
Multiplier les points de vue;
Engager des débats de style qualitatif ou narratif (métaphores, images);
User d’approximation et d’estimation;
User d’échelles relatives plutôt qu’absolues (« B prend deux fois plus de temps que A »);
Accepter et communiquer activement l’incertitude.
Grandeurs intangibles et langage flou
Rappelons quand même que nous autres les humains sommes parfaitement en mesure de gérer l’incertitude et le flou : nous faisons cela tous les jours. « J’ai mis une petite heure pour venir ». « Il est un peu plus grand que moi ». « Cela coûte presque 100.- ».
Rappelons également que ce n’est pas parce qu’une information manque ou échappe à la raison qu’il n’y a rien qui se passe : le subconscient, lui, traite toutes les informations à sa manière. Et d'ailleurs il existe des outils qui permettent de mesurer des intangibles (le lecteur intéressé se penchera sur le travail d’Alain Fernandez).
Comment rassurer son client ou son décideur sans chiffre ?
A défaut de chiffres, voici ce qu’on peut faire pour rassurer son client ou son décideur :
Intégrer le client ou le décideur dans les réflexions et estimations (p.ex. méthodes agiles);
Communiquer de manière régulière, de manière à installer des ancres de certitude [1];
Réfléchir avec le client à la manière d’obtenir des chiffres (quand, avec quelle qualité, pour répondre à quelles questions ?);
Communiquer de manière transparente sur son niveau de savoir comme aussi sur son niveau d’ignorance (p.ex. en faisant une liste des choses qu’on ne sait pas);
Soigner la relation de confiance : être authentique, éviter le bluff, avouer ses limites et son ignorance, tenir ses engagements;
Une saine attitude en présence d’un chiffre consiste à prendre conscience que derrière celui-ci peut potentiellement se cacher une montagne d’ignorance : l’humilité et l’esprit critique sont pour le moins la posture de survie minimale.
De l’incertitude et de bonnes relations valent mieux que de bons chiffres et de piètres relations !
[1] Fields, J., 2011. Uncertainty : turning fear and doubt into fuel for brilliance, New York: Portfolio/Penguin.
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