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  • Philippe Vallat

Estimations farfelues ou inexistantes


Qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir un délai de livraison précis, alors qu’ils savent tous que ce délai n’est pas tenable?


J’étais ces derniers mois en mission dans une entreprise pour les accompagner dans la mise en place de la gestion de projet. C’était intéressant de constater que régulièrement « les uns » se plaignaient que « les autres » n’étaient pas en mesure de livrer des estimations qui « tiennent la route » : entre le chef de projet et son équipe, le management et la vente, le chef de projet et le chef d’atelier etc., c’était le grand poker menteur. « Tout le monde » aimerait bien que « les autres » puissent donner des garanties pour des dates de livraison, alors que « tout le monde » sait qu’il y a encore des quantités d’inconnues et d’impondérables dans les divers projets. Pourquoi donc les estimations sont-elles fausses, ou alors pourquoi personne ne souhaite s’engager à faire des pronostics ?


Je n’obtiens pas d’estimation, ou alors que je ne peux pas la considérer comme crédible

En particulier, un chef de projet me rapportait qu’il ne savait plus que faire : « Je ne comprends pas, mes gens se refusent à me donner des estimations, ou alors s’ils le font, je ne peux pas vraiment avoir confiance dans cette estimation. »


Ensemble, nous avons cherché la ou les causes de cet état de fait, afin d’y remédier, et avons émis deux hypothèses :

La première est liée à la qualité de l’estimation :

  • soit une estimation relativement fiable est possible, ce qui sous-entend que la chose estimée est suffisamment prédictible ET que les estimateurs disposent des compétences requises (méthodes, expériences) pour faire les estimations;

  • soit alors l’estimation est très incertaine (avec risque de sur- ou sous-estimation), parce que les estimateurs ne disposent pas des qualifications nécessaires ET/OU parce que l’objet à estimer comporte de nombreuses inconnues et risques.

L’autre hypothèse est liée à la qualité de la communication et on pourrait la caricaturer comme suit : « comme mes commanditaires me prennent au mot chaque fois que je leur donne une estimation, je prends trop de risques à dire la vérité ». Là également deux cas de figure :

  • soit l’estimation est communiquée de manière transparente et véridique;

  • soit l’estimation est communiquée de manière « politique » (une version « pessimiste » s’il s’agit p.ex. de se garder une marge, ou une version « optimiste » s’il s’agit p.ex. de forcer une décision).

Des malentendus et des non-dits…

Une cause probable des conflits autour des estimations sont les présupposés que les uns pourraient avoir sur les autres et réciproquement. Par exemple :


Ce que le demandeur d’estimations attend ou se représente (peut-être):

  • J’ai besoin de savoir où l’on va, même de manière approximative;

  • J’ai besoin de ces estimations pour faire mes propres planifications et mon travail de coordination;

  • J’ai besoin d’être rassuré que l’équipe sait où elle en est en terme de délais et utilisation des ressources;

  • S’ils ne veulent pas/ne savent pas me répondre, c’est qu’ils ne maîtrisent rien ou sont incompétents;

  • ….

Ce que les personnes en charge de l’estimation entendent ou s’imaginent (peut-être):

  • Ils cherchent des coupables si le projet foire;

  • Ils vont utiliser mes estimations pour faire des promesses intenables au client;

  • Ils ont un plan secret de nous mettre plus la pression : les délais et les ressources pourraient être coupés;

  • Ils n’ont pas confiance en nous;

Vous voulez des estimations utilisables ? Alors développez la qualité de vos estimations ET une saine culture de communication.

Améliorez vos estimations…

  • Prenez conscience des prémisses à l’estimation : êtes-vous dans un système complexe (et donc plutôt incertain) ou compliqué (et donc plutôt prédictible), que savez-vous exactement, quelles sont les inconnues;

  • Effectuez une analyse de chances et risques le plus tôt possible;

  • Effectuez une analyse de champs de force (p.ex. un speed-boat);

  • Sur ces bases, choisissez la bonne méthode d’estimation : 3 points estimates, méthode Delphi ou d’autres, y.c. des méthodes agiles;

  • Identifiez les sources d’incertitude et réduisez-la là où elle peut l’être;

  • Mettez en place un principe de « red team » : soumettez systématiquement les estimations à revue critique, à l’interne ou à l’externe;

  • Procédez par itérations, resp. actualisez et affinez vos estimations avec le temps et en fonction de vos apprentissages sur le projet.

… et améliorez votre communication

  • Rappelez à votre client ou votre management qu’une estimation, par définition, est toujours fausse (car imprécise) et donc qu’une estimation n’est pas une promesse;

  • Comprenez le besoin qu’a votre client ou votre management et négociez avec lui comment et dans quels buts vous allez livrer des estimations;

  • Communiquez vos estimations comme des distributions, et non pas comme des prévisions;

  • Incitez votre client ou votre management à prioriser : est-ce plus important d’avoir le résultat, qu’importe le délai ou alors est-ce plus important de tenir le délai, quitte à ne pas obtenir l’entier du résultat escompté (« fixed scope, variable date » versus « fixed date, variable scope » dans ce billet blog d’Alan Daylay);

  • Développez une culture où l’incertitude peut être abordée sans que cela soit interprété comme une incompétence ou une mauvaise volonté de la part des acteurs.


Restez vigilants aux pièges

Prudence ! voici quelques-uns des pièges classiques :

  • Croire que tout peut être prédit, resp. confondre système complexe et système compliqué;

  • Ne pas prendre suffisamment de temps pour estimer;

  • Succomber au biais d’optimisme, qui conduit à surestimer les bénéfices et la facilité et sous-estimer les coûts et les risques et ainsi à prendre des risques inconsidérés;

  • Succomber au biais de confirmation, qui conduit à une recherche et un rappel sélectif d’information. Exemple : les chiffres estimés par la vente et vendus au client ne peuvent qu’être vrais, donc les informations en contradiction avec ceux-ci seront filtrés et ignorés;

  • Dans un contexte à risque, ou la méfiance est de mise, succomber au biais de pessimisme : « jamais on y arrivera », « ce n’est pas possible », qui tue la créativité et réduit la disponibilité à prendre des risques;

  • Croire naïvement les experts : plus l’expertise augmente, plus la qualité de la prédiction diminue! (« seer-sucker theory »);

  • Laisser la complexité croître par médiocrité (multiplications des erreurs et approximations);

  • Tomber amoureux de ses estimations et de ses planifications (quand même, avec le temps qu’on y a passé…).

Rappelez-vous : l’incertitude est la règle, et la certitude (ou le sentiment de certitude) le plus souvent un leurre…


Pour en savoir plus :

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