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  • Philippe Vallat

Le choix des mots : convaincre ou tromper ? (#climat) 2/2

Dernière mise à jour : 11 mars

Après avoir présenté les expressions gesticulatoires, illusoires et « esbroufe », parlons de norme sociale, de deuil, de responsabilité et de courage dans le changement.

Les expressions qui jettent la pierre

Alors que les jeunes comme leurs aînés se mobilisent et manifestent dans la rue, les médias parlent d’ « activistes » et « militants » climatiques. Ces termes sous-entendent qu’il s’agirait « d’extrémistes », bien sûr en minorité, au comportement considéré comme déviant de la norme sociale. Or le climat n’est pas une cause comme les autres, c’est un enjeu de survie collective. Il ne viendrait à l’idée de personne de considérer que les pompiers seraient des « activistes » en matière d’incendie, et les médecins des « militants » de la santé. Comme les bouleversements climatiques sont déjà à l’œuvre et commencent à sévèrement impacter le fonctionnement de notre société et nos vies, individuelles et collectives, il est temps de renverser la norme sociale et de considérer à l’opposé que ne pas se préoccuper du climat est le comportement déviant. Peut-être devrait-on utiliser systématiquement le vocable de « dénialistes », voire inventer celui de « passivistes », pour décrire les entités et décideurs qui refusent de voir les choses en face et d’agir en conséquence ?

Les expressions moralisatrices et dogmatiques

Terminons cette brochette des expressions autour du climat avec la notion d’ « écologie punitive ». Une expression devenue défouloir, à en juger combien elle est utilisée. C’est une version moderne de « tuer le messager », un sursaut émotionnel pour celles et ceux qui n’arrivent pas voir les choses en face et sont tétanisées par l’idée que le monde, leur monde, va changer, de manière probablement plutôt désagréable. La mauvaise nouvelle, c’est que c’est Mère-Nature, pas l’écologie, qui donne la punition, et elle a déjà bien commencé. Le cosmos tourne selon des règles naturelles, immuables, que la volonté et le génie humain, l’opinion politique, la pensée magique, l’argent, sont incapables de contrecarrer. Nous avons déréglé le climat, nous allons devoir en vivre les conséquences. La « punition » (le cosmos est sans morale) sera très sévère, voire même capitale. Ce que l’écologie fait, c’est d’expliquer comment le Vivant fonctionne, et comment nos comportements, individuels et collectifs, mettent en péril ce Vivant. Il en découle naturellement des propositions de mesures concrètes pour donner une chance de survie aux humains. Est-ce punitif que d’être chassé par les pompiers de sa maison en feu en laissant derrière soi toutes ses affaires ? Le médecin qui invite son patient cancéreux à arrêter de fumer, lui inflige-t-il une punition ? Les interdictions de fumer dans les lieux publics, mesure « liberticide » s’il en est, ne sont pas plus punitives, et ont dû être mises en place par les gouvernements pour une simple raison : la seule « prise de conscience individuelle », si chère aux tenants convaincus d’un néo-libéralisme dogmatique, n’a tout simplement pas fonctionné. « Pas d’interdictions, pas de punitions », quelle vision puérile du fonctionnement de la société. Je défie quiconque de vouloir une politique de sécurité routière basée exclusivement sur la « prise de conscience » et les « incitations », sans jamais – ô grand dieu jamais - recourir à ces instruments de régulation. A moins que vous n’aimiez les grosses statistiques de morts sur les routes. Et pourquoi la sécurité routière se base-t-elle sur les interdictions et les punitions plutôt que sur la sensibilisation et l’éducation ? Serait-ce parce que tout simplement la doctrine de « responsabilité individuelle » ne marche pas dans la vraie vie ?

Deuils à faire, deuils en cours

Que disent toutes ces expressions ? Que le changement climatique n’est d’une part pas correctement perçu comme phénomène planétaire, que sa dynamique et sa temporalité restent largement incomprises. Que les réactions face à ces changements sont de l’ordre de la peur, du déni et de la colère, ou encore du marchandage, des étapes du phénomène de deuil qui précèdent l’acceptation. Que les émotions sur ces questions sont vives et embrument l’esprit, donc la prise de décision et le passage à l’action. Et que donc le chemin est encore long…

Il va être difficile de débattre, sereinement, démocratiquement, des mesures indispensables à la survie de l’espère humaine, tant que les illusions de « on s’en sortira sans devoir payer » continuent d’être nourries. Le plus vite nous ferons notre deuil, le plus vite nous accepterons que demain ne sera pas une amélioration d’aujourd’hui, non seulement pour nos enfants mais pour nous-mêmes, le plus facile il sera de prendre des mesures drastiques qui puissent être collectivement acceptées. C’est quelque chose que notre société sait faire : c’est une logique d’économie de guerre. Quand il s’agit de survivre ensemble, il y a des pertes, de liberté (pensons au couvre-feu), de possibilités économiques et sociales, d’ambitions et de rêves, d’espoir. Rien de punitif là-dedans, juste le bon sens. La difficulté est qu’aujourd’hui nous avons une mentalité d’enfant gâté qui refuse de grandir, piloté par son cerveau gavé aux hormones de la gratification immédiate. Nous allons devoir nous comporter en adultes, et accepter des frustrations, de très grosses frustrations. Et là les décideurs, politiques, économiques, sont sollicités – parce que les changements individuels, même « héroïques », ne vont pas non plus suffire

Il y a trois issues possibles : soit nous faisons collectivement rapidement le deuil de l’anthropocène, et il nous est possible de mettre en place des mesures drastiques acceptées par la majorité. C’est le scénario le plus enviable. Ou alors nous laisserons les Etats prendre contre notre volonté des mesures non consensuelles, forme de dictature verte pour notre bien, mais qui suscitera probablement beaucoup de résistance. Ou encore, c’est le plus facile à court terme et le moins enviable à long terme, nous relativisons, tergiversons, gesticulons alors que les valeurs de CO2 continuent d’augmenter, d’augmenter, d’augmenter, jusqu’à ce que le système bascule de lui-même par effet domino vers le collapse, phénomène d’auto-régulation parfaitement naturel et inexorable : l’humanité n’aura plus qu’à subir. Il est probable que la réalité sera un mélange de ces scénarii. Dans tous les cas nous devrons probablement nous attendre à une réduction des libertés individuelles, voulue démocratiquement, ou alors imposée par les gouvernements ou pire par les circonstances : quand l’eau ne coule plus à la fontaine, ce n’est pas par choix. Nous aurons, je le crains, à choisir entre survivre grâce à la contrainte ou périr à cause de nos libertés...

Quel langage, quelle posture choisir ?

Comment en parler de manière impactante alors ? Comme on le recommanderait à toute personne en charge d’un processus de changement, de transformation, de transition. Comme votre dentiste qui vous dit « votre dent est gâtée, je vais devoir l’arracher, cela fera mal, je ferai de mon mieux ». Présenter les choses directement, clairement, honnêtement, simplement. C’est le seul discours vraiment adulte. Cacher la m… au chat, tourner autour du pot, c’est considérer les citoyennes et citoyens comme incapables d’entendre, incapables de comprendre, incapables de gérer le choc émotionnel de la réalité, les considérer comme impuissants, manquer de confiance dans leur capacité de résilience. C’est les déresponsabiliser – créer l’effet exactement contraire à celui qui est souhaité voire invoqué.


En fonction des mots que vous choisissez pour parler du climat, vous nourrissez l’un des trois scénarii évoqués. C’est donc un appel à votre responsabilité : nous aurons le futur que nous aurons créé nous-mêmes, cela commence dans nos têtes et se concrétise par le langage. La seule posture me paraissant constructive est celle qui appelle un chat un chat, car elle est accélératrice du deuil et nourrit la résilience. Elle nécessite du courage, managérial, politique, civique. L’aurez-vous, l’aurons-nous ?

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