Qu'on le veuille ou pas, l'incertitude génère inconfort, inquiétude, peur voire anxiété, soit des émotions « managérialement incorrectes » dans un monde où certains croient encore dur comme fer que la décision dite rationnelle est le summum de l'intelligence de l'homo economicus.
Qu'entend-on par « incertitude » ?
Selon le Larousse, l'incertitude est le « Caractère de ce qui est incertain », « État de quelqu'un qui ne sait quel parti prendre, ou état plus ou moins préoccupant de quelqu'un qui est dans l'attente d'une chose incertaine ». Et incertain signifie « Qui n'est pas établi avec exactitude, connu avec certitude », « Qui n'est pas sûr, qui peut se produire ou non, être tel ou tel ».
L'incertitude nous propulse hors de la zone de confort
Dans cette belle animation, le concept de zone de confort est fort bien expliqué. Si dans un contexte d'apprentissage on veillera à ne pas être propulsé dans la zone de panique, l'incertitude d'une situation hautement complexe, chaotique, de crise, elle, nous y propulsera inévitablement. Et c'est très, très inconfortable.
Incertitude et peur vont de pair
Commençons par les justes motifs biologiques par lesquels naît la peur, à savoir la peur d'être mis en danger dans son intégrité physique ou psychique, peur ancrée dans nos souvenirs préhistoriques. Même si ce type de peur apparaît anachronique dans un monde où pour la majorité une très grande sécurité est offerte, il est bon de se rappeler la pyramide des besoins de Maslow pour comprendre parfois des réactions de peur intense, notamment dans des processus de changement.
Dans notre société moderne, dans laquelle la compétition semble être de mise et ce sous le regard d'un nombre toujours plus impressionnant d'observateurs, nous expérimentons la peur du jugement de trois groupes de personnes : ceux dont j'attends l'approbation (supérieurs, proches, médias), ceux qui me paient pour ma prestation (clients, actionnaires, commanditaires) et – parfois le plus terrible – moi-même. Me trottent souvent inconsciemment dans la tête ces deux questions :
Mes prestations, mes produits sont-ils suffisamment bons ?
Suis-je suffisamment bon ?
La peur du jugement se décline sous plusieurs formes :
Peur de ne pas savoir
Peur de se sentir impuissant, incapable
Peur de se tromper, de commettre des erreurs
Peur des conséquences, de l'avenir
Peur de décevoir, de ne pas être aimé.
En particulier dans la prise de décision, la peur de perdre nous impacte émotionnellement bien plus que la perspective de gagner selon la théorie des prospects de Daniel Kahneman. La perspective de perdre de l'argent, du temps, la réputation (de soi-même ou de son organisation), la liberté, la santé ou la qualité de vie, mais aussi plus fondamentalement sa base vitale et son tissu de relations aidantes ou nourrissantes peut être une forte source de peur.
Effets de la peur
La peur est une émotion de base : le corps, sous l'effet de l'adrénaline, réagit automatiquement à une situation de stress en envoyant du sang dans les grandes masses musculaires pour se préparer à fuir ou à combattre. Pour cela il prend le sang notamment dans l'organe le plus gourmand en énergie, le cerveau, d'où une réduction momentanée de nos capacités de discernement.
Une autre conséquence de cette peur est le paradoxe d'Ellsberg, effet renforcé sous observation (ce qui est le cas des grands décideurs, notamment économiques et politiques) : face à une décision qui comporte risques et incertitude, l'être humain tend à écarter l'incertitude, même si cela est contraire à la raison.
En termes de management, les conséquences de la peur peuvent être :
la paralysie décisionnelle
l'absence d'action
des actions précipitées inadéquates.
Il nous arrive à tous d'avoir peur – l'admettons-nous ?
Je ne crois pas un instant qu'une personne confrontée à l'incertitude (cadres, artistes, thérapeutes, politiciens, dirigeants, militaires, également les héros de tous genres) ne ressente pas la peur. Le commandant Chesley Sullenberger, qui a posé son airbus avec ses 155 passagers sains et saufs le 15 janvier 2009 sur la rivière Hudson à New York, avoue en interview avoir eu une très forte réaction physiologique dans cette situation et avoir été en état de choc. Le varapeur de l'extrême Alexander Huber parle de la peur comme son « amie ». Et pour Steve Fehl, le processus de création, qui confronte à l'incertitude et au chaos, est, au-delà de la peur, une véritable souffrance ("pain of creating").
Si d'aventure mon interlocuteur prétendait ne pas avoir peur, alors ma confiance en lui s'effondrerait instantanément. Alors, oui, en situation d'incertitude, il est probable que
nous commettrons des erreurs et que
nous serons jugés, sous une forme ou une autre, pour ce que nous aurons fait – ou ce que nous n'aurons pas fait.
Et personne, vraiment personne, n'échappe à cette règle naturelle. Ni le nombre de subordonnés, ni la place de parc réservée devant l'entrée principale, ni la valeur en bourse de la société, ni la légitimité donnée par un électorat, ni le nombre d'étoiles sur les passants d'épaule, ni-même une formation appropriée ou un entraînement poussé n'immunisent ou ne protègent contre cette réalité biologique.
Plutôt qu'éviter maladivement les erreurs, il s'agira de développer la capacité à se relever élégamment et plutôt que nier ou combattre la peur, il s'agira de l'accueillir et la transformer en force vitale.
La peur appelle le courage
La peur nécessite du courage pour avancer, par exemple
Le courage de décider et oser se tromper
Le courage d'être indiscipliné ou hors-contrôle
Le courage de ne pas être d'accord avec son chef ou son client
Le courage d'être soi-même, de ne pas être compris, d'être seul et défier la pensée dominante ou les décideurs – être un « paresiaste » selon Léo Scheer.
Les peurs ne se laissant guère combattre, le leader dans l'incertitude sera ainsi appelé à les dépasser, à développer son courage, soit la force de caractère pour affronter la difficulté malgré ou avec la peur.
En savoir plus :
Fields, Jonathan. Uncertainty: Turning Fear and Doubt into Fuel for Brilliance. New York: Portfolio/Penguin, 2011
Ariely, Dan, and Christophe Rosson. C’est (vraiment ?) moi qui décide. Paris: Flammarion, 2012
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