Ca y est, nous sommes définitivement très loin de notre zone de confort : peur, doute, panique nous submergent. Comment gagner (un peu) en sérénité de manière à redevenir un tant soit peu apte à la réflexion et à l'action ?
Quand nos stratégies connues ne sont plus pertinentes
Les « classiques » du retour dans la zone de confort en entreprise sont : le recours aux experts, aux procédures et règles ainsi qu’à la hiérarchie – ce que les entreprises ont en stock et appliquent avec succès en temps normal. Un autre classique est la réduction de la complexité et de l’incertitude à des paramètres mesurables et le plus souvent peu ou non pertinents : typiquement les coûts ou les délais.
Ces tentatives de retrouver la maîtrise sont des manières souvent inappropriées de répondre à ce besoin de sécurité, qui, lui, est naturel, biologique comme on l’a vu dans le billet précédent.
Qu’est-ce qu’une « ancre de certitude » ?
Une ancre de certitude est une procédure automatisée, individuelle ou collective, le plus souvent devenue inconsciente, une habitude, un rituel qui permet de « revenir chez soi », de retourner momentanément dans sa zone de confort, dans un endroit où je me sens en sécurité, un endroit où je suis en contact avec ma zone d’excellence, avec le cœur de mon identité. Je parle ici aussi bien d’un lieu et d’une activité extérieurs – p.ex. prendre son café tous les matins dans le même petit bistrot de quartier – que d’un lieu et d’une activité intérieurs – p.ex. méditer, respirer consciemment, se centrer.
La vie, les activités professionnelles sont, comme vous le savez bien, faits de hauts et de bas. Les moments de confort alternent avec des moments de (grand) inconfort, à l’image du modèle de la gestion du changement : « unfreeze- transition – refreeze ». La compétence à développer est donc de prendre conscience de ses ancres personnelles, en premier lieu les ancres intérieures, savoir les solliciter en temps opportun et avec facilité, et ainsi développer la capacité d’aller et revenir régulièrement et rapidement du confort à l’inconfort et vice-versa.
Ne confondez pas « ancres de certitude » et « bouées percées »
Comme dans la peur nous avons un besoin d’être rassuré ou mis en sécurité, souvent nous allons nous comporter comme un nageur se noyant : nous allons nous agripper avec l’énergie du désespoir au premier objet flottant se présentant à proximité et chercher à revenir dans notre zone de confort. Ces bouées percées sont les habitudes, procédures de travail que nous connaissons de notre quotidien, les croyances que nous développons pour donner du sens à ce qui advient, ces comportements, attitudes et modèles mentaux que nous reproduisons inconsciemment, car c’est la seule chose que nous connaissons. Et tant pis si la bouée fuit, nous ne le voyons d’ailleurs souvent pas nous-mêmes.
Jetez des ancres multiples et variées
Les propositions ci-après s’appliquent aussi bien aux ancres personnelles, que collectives (en équipe) et même organisationnelles. Ces ancres s’instaurent d’abord en amont d’une situation difficile, et peuvent aussi être jetées pendant la situation.
1) Sollicitez tous vos sens
Ancres visuelles : agencement et décor des bureaux, de votre place de travail, habillement;
Ancres auditives : musique préférée, mais aussi bruits usuels de votre environnement (clocher d’église, train, machines de l’atelier…);
Ancres kinesthésiques : gestes, ambiances, rituels, petites manies (saines), vêtements préférés (qui n’aime pas son vieux pyjama troué ou ses vieilles pantoufles que votre partenaire voudrait tant vous voir jeter aux ordures ?…);
Ancres olfactives : encens, parfums, odeurs naturelles, odeurs de repas, odeurs de quartier (boulangerie, brasserie, chocolaterie);
Ancres gustatives : (avec un clin d’œil à la célèbre madeleine de Proust) fidélité à un thé, café, fruit, chocolat, restaurant particulier.
2) Pensez à des ancres temporelles
Avant la crise resp. le début du projet, durant la crise / le projet. Les ancres qui se seront avérées utiles pourront être renforcées à l’issue de la crise et serviront pour les prochaines crises, augmentant globalement la compétence de l’équipe à soutenir l’incertitude.
3) Etablissez des ancres relationnelles
Construisez et nourrissez des relations de confiance, tissez un réseau de pairs sur lesquels vous pouvez compter – et offrez cette confiance et disponibilité en retour. En position de leadership, soyez un exemple, crédible, prédictible et cohérent, dans vos comportements comme dans votre humeur.
4) Veillez à la neutralité et solidité de vos ancres
Cela signifie, évitez
des ancres déjà associées à d’autres situations : la salle du Conseil n’est pas forcément le meilleur endroit pour un atelier créatif, l’infirmerie n’est pas adaptée à un entretien d’embauche (« conflit d’ancres »);
des ancres qui préjudicient négativement le travail de votre équipe en induisant des modes de pensée ou des comportements non soutenants, p.ex. un moment dans l’année anniversaire d’un événement traumatique (« ancres chargées »);
des ancres fantoches que personne ne prend au sérieux.
5) Soyez professionnel
Exercez votre art et votre métier avec la plus grande application et le plus grand professionnalisme, mais sans rigidité pour autant. Soignez ordre, propreté et discipline. La médiocrité est rarement à la base d’une action extraordinairement brillante. Développer votre maîtrise personnelle, la première des cinq disciplines de Peter Senge.
6) Votre ancrage intérieur - entraînez votre esprit et votre coeur
Les ancres qui sont indépendantes du lieu et du moment et sont toujours à votre disposition sont vos ancres intérieures :
développez votre intelligence émotionnelle;
distinguez qui vous êtes vraiment, votre identité, de ce que vous faites, pensez, croyez, ressentez;
méditez. Si vous deviez faire une seule chose simple qui changerait grandement votre vie, alors c’est sans aucun doute vingt minutes de méditation tous les jours.
Activez, réactivez, répétez ces ancres pour les renforcer.
Conclusion et pistes de réflexion
Comment devenir confortable avec l’inconfort, comment se sentir sécurisé dans l’insécurité ? Ces capacités se travaillent, s’entraînent. La grande compétence dont nous avons besoin dans l’incertitude est, comme le dit Jonathan Fields, d’utiliser la peur comme source de créativité et d’innovation, plutôt que de succomber aux sollicitations primales de notre cerveau reptilien. Vouloir combattre, éviter, fuir la peur assure certes la survie à court terme, toutefois aujourd’hui, dans nos entreprises et organisations, c’est de génie pour construire un futur meilleur dont nous avons besoin.
Alors, quelle place la peur a-t-elle dans votre vie, dans votre organisation ? Et qu’entreprenez-vous, individuellement et collectivement, pour en tirer le meilleur ?
En savoir plus :
Fields, Jonathan. Uncertainty: Turning Fear and Doubt into Fuel for Brilliance. New York: Portfolio/Penguin, 2011. Print.
http://skimmingdeep.wordpress.com/2012/06/11/certainty-anchors-13/
Interview Jonathan Fields http://internationalfreelancersacademy.com/episode-78/
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