Le langage est la manière que nous avons d’exprimer ainsi que de façonner nos représentations mentales. Non seulement il exprime notre manière de voir le monde, mais encore il est un instrument d’influence. Prenons l’exemple du climat sur lequel de nombreux auteurs, journalistes, bloggeurs, commentateurs s’expriment.
Alors que beaucoup s’interrogent sur les motifs de la non-action collective face aux risques dûment communiqués par les scientifiques, voyons comment les termes utilisés, voire même inventés, sur la question climatique colportent des messages trompeurs, qui nous cachent la vérité et tendent à faire croire que « tout va très bien Madame la Marquise », nous empêchent de faire le deuil pourtant indispensable de la société d’aujourd’hui, et freinent ainsi le développement de la résilience dont nous aurons grandement besoin.
Les expressions gesticulatoires
Il y a d’abord les expressions telles que « protéger le climat » ou « préserver le climat ». Or le climat s’en fiche d’être protégé ou préservé. Le climat est l’expression de la régulation naturelle de l’éco-système planétaire. La planète a vécu divers climats déjà, avec des espèces vivantes différentes adaptées aux circonstances. La question n’est donc pas de protéger le climat, mais de s’adapter à un climat qui, jamais plus, ne sera comme avant l’ère industrielle. La vraie question n’est pas le climat, mais la capacité de notre civilisation de garantir eau potable, alimentation, santé, sécurité, vie sociale pour toutes et tous, alors que les bouleversements climatiques perturbent de manière inquiétante nos bases d’existence.
Ensuite il y a les « actions pour le climat ». Revenons aux anciennes sagesses : le climat n’a pas besoin qu’on fasse quelque chose pour lui, mais bien plutôt qu’on arrête de faire des choses contre lui. Le principe taoïste du non-agir serait ici pertinent, comme le principe « primum non nocere » du serment d’Hippocrate. Dans une société qui valorise la gesticulation, s’abstenir de faire n’est pas bien vu. Pourtant il nous faudra bien arrêter de fonctionner avec des carburants fossiles. Et comme jamais ceux-ci ne pourront être substitués par les énergies qu’on appelle « renouvelables » (voir plus bas), il s’agit de se faire à l’idée que nous devrons faire des renoncements, de gros renoncements même. Faire plus, de routes, de digital, de machines, de bidules made-in-china, de nouvelles voitures, de e-trucs, de kilomètres parcourus, de croissance etc., même qualifiés de « verts » ou « durables », est à l’encontre de ce principe. Nous devons – c’est une injonction appropriée vue les circonstances – basculer d’une logique de l’abondance à une logique de précarité, et donc faire des économies (« gestion où on réduit ses dépenses, où on évite des dépenses superflues », Larousse). A un fumeur cancéreux, non seulement la médecine lui proposera d’agir, chirurgicalement et/ou chimiquement, mais elle lui demandera aussi d’arrêter de fumer, s’abstenir d’entretenir le mal.
Certains veulent même « lutter contre le réchauffement climatique ». Cette bataille est pourtant déjà perdue. Nous avons des records historiques de CO2 dans l’atmosphère, le climat ne sera donc plus jamais comme avant, et il n’y a pas de retour en arrière possible : nous avons affaire à un phénomène irréversible.
Les expressions technocrates
Dans le discours courant, on appelle à des « solutions » afin de « régler la question climatique ». C’est une logique de service de réparation qui nourrit l’illusion que deux sparadraps, souffler dessus et hop, on repart comme avant. La question climatique n’a ni solution, ni règlement : c’est une période inconnue dans laquelle nous sommes entrés, le climat est déréglé pour de bon, et pour un très, très long temps. La question climatique est donc un problème qui n’a pas de solution, un predicament en anglais, avec lequel il faudra vivre sans possibilité de le modifier, qui appelle à adaptation. Parler de solution, c’est continuer de nous faire croire que ce n’est pas si grave que ça, que les spécialistes – les autres, pas moi – vont trouver un remède qui m’évitera le désagrément de faire le deuil de mon train de vie : ces spécialistes vont bien trouver des innovations technologiques pour nous tirer d’affaire. C’est malheureusement fort peu probable…
Les expressions illusoires
Dans la même logique apparaît la notion de « neutralité climatique ». Si on stabilise, alors c’est déjà bien. C’est comme une personne qui serait très fortement obèse : stabiliser le poids c’est bien, mais cela ne réduit en rien les problèmes et risques de santé. Même si on obtenait rapidement cette fameuse « neutralité », sachant que le temps de latence entre les émissions de CO2 et leur impact sur le climat est de l’ordre de 30 à 40 ans, même si nous nous mettions au régime serré dès maintenant, ce que nous avons englouti jusqu’à aujourd’hui se verra sur la balance dans 30 ou 40 ans. On peut donc stabiliser, réduire, neutraliser nos émissions de CO2, mais la neutralité climatique, c’est au mieux dès 2050, avec le réchauffement qui prévaudra à ce moment.
Parmi les illusions qui font plaisir à l’économie traditionnelle, il y a la fameuse « croissance verte ». Rappelons-le : dans le vrai monde, une croissance infinie avec des ressources finies, cela n’existe pas (remarque un brin cynique : sauf si vous croyez en l’économie). Comme la croissance, exprimée par le PIB, dépend directement de la consommation d’énergie, la baisse d’énergie disponible, par la volonté humaine et/ou l’épuisement des ressources, conduit inexorablement à une décroissance. Il est donc temps de mettre un terme à ce mythe, la croissance verte, ça n’existe pas plus que les licornes.
Un concept acquis dans l’inconscient collectif est celui des « énergies renouvelables ». Certes, le soleil, le vent, le bois, l’eau sont – dans les limites de certaines échelles de temps – renouvelables en tant qu’énergies primaires. Par contre, les machines pour capter, transformer, stocker, transporter ces énergies sont sans exception dépendantes des énergies fossiles : jamais l’énergie produite par une éolienne ne permettra la construction, de l’extraction des matières premières pour sa fabrication à son démantèlement, d’une nouvelle éolienne. Toutes les formes d’énergies renouvelables sont carbonées. De plus, l’expérience qu’on a de ces énergies est qu’elles ne remplacent nullement les énergies fossiles, mais s’y ajoutent. Ce qui fait qu’il n’y a dans le vrai monde aucune « transition énergétique », autre leitmotiv en vogue, mais que du cumul énergétique. Voilà un autre deuil à faire : nous n’allons pas basculer 1 : 1 des énergies fossiles à des énergies « vertes », mais de beaucoup d’énergie bon marché à moins d’énergie chère. Les « énergies renouvelables » nous empêchent de penser un monde avec beaucoup, beaucoup moins d’énergie disponible : comment l’agriculture et la médecine, pour ne parler que de ces services de base, vont-elles fonctionner avec beaucoup moins d’énergie (sans parler des matières premières nécessaires pour engrais, médicaments et machines) ?
Les expressions « esbroufe »
Parlons un peu du digital. Dans le développement du numérique est apparu le terme de « dématérialisation ». C’est étonnant comment ce terme a été naïvement accepté dans une société pourtant très matérialiste. Parce que les ordinateurs, câbles, et autres machines numériques n’auraient aucune existence physique ? Et donc aucun impact délétère sur le climat et l’environnement ? Quelle blague !
Dans la même veine des vocables cocasses, il y a nouvellement « l’écologie digitale », concept inventé par Digital For the Planet. Pour en prendre le contre-pied : comment le digital, qui fonctionne essentiellement avec du béton, de l’acier et charbon/pétrole, pourrait-il conduire à moins d’émissions de CO2 ? Et avec « chemistry for the planet », « metallurgy for the planet », et autres « technology for the planet », qui fonctionnent également avec du béton, de l’acier et charbon/pétrole, on n’a pas déjà moins d’émissions de CO2 ? Réduire l’impact carbone du digital c’est bien, mais comme en même temps on continue de développer le digital, nous avons l’effet rebond, aussi appelé « paradoxe de Jevons », qui conduit globalement à plus d’émissions de CO2, ce qu’on ne veut pas. Digital for The Planet ne peut pas être « pour » la planète : nous sommes en situation finale, complètement saturée. En rajouter, même moins vite avec des « solutions bas carbone », c’est en rajouter. Foncer dans le mur avec une accélération plus faible, cela reste foncer dans le mur en augmentant sa vitesse. Il n’y a qu’en violant les lois de la physique qu’on pourrait croire à un quelconque miracle. A part l'effet buzz, « écologie digitale » ressemble à un oxymore rassurant, car - ouf - il n'y aura pas besoin de renoncer au train de vie (digital) qu'on a. Suite dans le prochain article : les expressions qui jettent la pierre, moralisatrices et dogmatiques, deuils en cours et à faire, quels langage et posture choisir
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