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  • Philippe Vallat

S'exercer aux "bonnes décisions"?

Dernière mise à jour : 31 janv. 2022

S'exercer à prendre de « bonnes décisions »? Tout est-il vraiment dans la méthode? La décision rationnelle existe-t-elle vraiment? Quelques réflexions sur des lieux communs au sujet de la prise de décision.


Je me trouvais l’autre jour à échanger avec des collègues sur la formation à la prise de décision. L'un d'eux me parlait de son idée d’introduire une nouvelle méthode de prise de décision. Il a partagé l’idée de faire travailler en parallèle deux équipes directionnelles, avec deux méthodes différentes, sur une même situation, et de comparer ensuite la performance décisionnelle pour définir en quoi la nouvelle méthode apporte de meilleurs résultats que l’ancienne.

A mon sens, comparer deux équipes dans leur performance de prise de décision ne fait aucun sens pour au moins quatre raisons.


1ère raison : définition de « décision »

Par définition, la notion de « décision » sous-entend qu’il y a toujours une part d’inconnue non résolue. Si tous les paramètres de la décision sont connus, alors il ne s’agit pas de décision, mais de déduction, fruit d’une analyse et d’un processus logique. Une déduction peut être comparée à une autre, une décision ne le peut pas. C'est d’ailleurs pourquoi la décision est par excellence l’outil de réduction de l’incertitude à disposition du management.

Jean Piaget disait: « L'intelligence, ça n'est pas ce que l'on sait mais ce que l'on fait quand on ne sait pas. »


2ème raison : bonne méthode = bonne décision?

L’idée émise part de l’hypothèse que la qualité de la méthode est l’élément déterminant de la qualité de la décision. Je passe ici la discussion sur la notion de « qualité d’une décision », pour m’attarder sur la méthode. Or la qualité d’une méthode, et même la qualité de son application, n’est aucunement une garantie qu’une équipe aboutira à une bonne décision.

J’aime bien répéter ce principe de management qui dit qu’« il vaut mieux être mal organisé et bien conduit que l’inverse ». Les erreurs méthodologiques peuvent être compensées par des qualités relationnelles et de leadership, alors que l’inverse n’est pas vrai : un piètre leadership ne pourra jamais être compensé par une méthode, aussi bonne soit-elle. Cela signifie dans le cas présenté ici qu’à mon sens la dimension humaine est largement sous-estimée au profit de la dimension procédurale.


La démarche suggérée part d’une logique du compliqué. En effet, si je prends deux équipes avec chacune une boîte à outils différente et que je leur demande de démonter et remonter un vélo, je peux m’imaginer établir une comparaison entre les deux performances. Toutefois, dans des systèmes complexes – et le monde des décideurs d’aujourd’hui est plutôt de nature complexe que compliqué - il s’agit de garder à l’esprit que des conditions de départ similaires ne conduiront JAMAIS à des résultats similaires : les systèmes complexes n’ont pas un comportement reproductible, et donc ne sont pas comparables. En prenant en compte la typologie de l’incertitude de Wynne présentée dans un précédent billet (en allemand), une équipe décisionnelle sera confrontée à l’ignorance et à l’indétermination. Ces deux paramètres conduiront avec certitude les deux équipes à développer des décisions qui seront différentes. En outre, non seulement elles seront différentes et leur impact aussi, mais elles ne pourront pas être comparées, car une autre particularité des systèmes complexes est que la relation de cause à effet entre la décision et ses conséquences ne peut être établie qu’a posteriori.

Quand on décide, on ne sait pas, ou avec une grande incertitude, ce que cela va engendrer comme conséquences.

Ce qui signifie que dans un exercice qui s’arrête avec une décision virtuelle qui n’est pas appliquée dans le monde réel, une comparaison des décisions à ce moment-là est strictement impossible, tout comme l’est tout jugement sur la qualité de cette décision.


4ème raison : la logique supérieure aux émotions?

Une autre hypothèse qui sous-tend la démarche est que la prise de décision devrait être un processus logique dénué d’émotions. Or il n’est rien de plus faux. D’une part, les émotions font partie intégrantes de la prise de décision : elles peuvent faciliter comme inhiber le processus. D’autre part, il n’y a pas que le conscient qui contribue à la réflexion, le subconscient joue lui-aussi un rôle déterminant : c’est l’intuition. Quelle est alors la validité d’une méthode qui négligerait ces dimensions ? (Et a fortiori comment entraîner à une prise de décision globale) ?


L’erreur de pensée qui me paraît exister dans ce cas de figure est une vision du monde mécanistique, logique, monde dans lequel il semble qu’ignorance et incertitude n’existent pas et où l’homme ne serait qu’une machine rationnelle. Ignorance et incertitude sont considérées comme des problèmes à résoudre, émotions et intuitions comme des faiblesses à combattre ou à écarter. La démarche usuelle est de chercher de la sécurité en recherchant plus d’informations, en analysant plus, et en développant des méthodes qui devraient être toujours plus perfectionnées. Malheureusement, ces efforts sont vains, car les situations complexes ne sont pas réductibles (revoir à ce sujet le Cynefin Framework).


Moralité

Vous voulez une équipe directionnelle qui gagne ? Alors commencez tout d’abord par choisir les bonnes personnes et les exercer à gérer ensemble l’incertitude, là est le plus grand potentiel de performance. La question de la méthode à utiliser doit être un thème annexe. Inverser ces priorités est tout simplement une faute professionnelle.


Pour en savoir plus:

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